Les îles de Tahiti et Moorea, découvertes par Samuel Wallis en 1767, ont toujours fasciné les explorateurs et les scientifiques. Mais au-delà des paysages paradisiaques, elles abritent une algue singulière : la Padine. Cet article vous emmène à la découverte de la Padine de Tahiti, entre les légendes polynésiennes qui l’entourent et les incroyables révélations scientifiques sur son génome.
L’histoire de la découverte de Tahiti est marquée par des rencontres contrastées. Après les affrontements initiaux avec Samuel Wallis, Louis-Antoine de Bougainville fut accueilli pacifiquement en 1768. Un détail piquant de cette expédition : Jean Baret, qui se faisait passer pour le valet botaniste du docteur Philibert Commerson, fut démasquée par les Polynésiens. Son identité féminine, restée secrète à l’équipage, fut immédiatement reconnue, soulignant la perspicacité des habitants de l’île.
Cette anecdote illustre les différences culturelles de l’époque. Alors que les équipages européens étaient exclusivement masculins, les Polynésiens voyageaient avec leurs familles, leur progéniture et même leurs animaux et végétaux. L’absence de femmes à bord des navires européens suscitait l’étonnement, comme le rapporte Julien Viaud (Pierre Loti), qui relate les interrogations des Pascuans sur l’existence même des femmes chez les Européens.
Finalement, après la découverte de son identité à Tahiti, Jeanne Barret et son compagnon, le docteur Commerson, durent débarquer à l’Île de France (Île Maurice) avant que l’expédition de Bougainville ne poursuive son voyage. Jeanne Barret est devenue la première femme à faire le tour du monde, et son talent de botaniste lui valut une pension royale.
La Padine est également au cœur de magnifiques légendes polynésiennes. Un soir de pleine lune à Hitia’a, le gardien de la mer, Kiwa, aurait voulu offrir des colliers de fleurs blanches aux déesses marines Hina (déesse de la lune et de la mer) et Faumea (déesse de l’océan). Cependant, les fleurs terrestres se révélaient inadaptées à l’eau. Kiwa confectionna alors des colliers avec les frondes blanches des padines, parfaites pour s’épanouir dans les lagons.
Ces colliers éclatants ornaient les déesses, et leurs danses au clair de lune guidaient la reproduction des oursins, des étoiles de mer et la mue des crevettes.
Ikatere, le dieu des créatures marines, jaloux de Kiwa, tenta de faire disparaître les padines en les recouvrant de sable. Son pouvoir ne put cependant atteindre la lointaine mer Méditerranée, où les padines blanches subsistent encore, notamment autour de Malte et des îles des Embiez.
Touché par la tristesse des déesses, Ikatere dota les padines d’un pouvoir extraordinaire : celui de préserver la beauté du cœur et la santé du corps. Depuis, Hina et Faumea dansent joyeusement dans les lagons, et les éclairs brillants que l’on y voit les soirs de lune seraient le reflet de leurs colliers de padines.
Ces légendes expliquent aussi pourquoi les femmes polynésiennes sont autorisées à ramasser des coquillages blancs sur les plages : ces coquillages, comme les padines, servent à confectionner des colliers offerts en signe d’affection.
L’histoire scientifique de la Padine prend une tournure concrète en 1991. Lors d’une plongée d’entraînement dans l’anse des Chevaliers, sur la presqu’île de Gien, Jean-Paul VESCO, Jérôme MAUGAT et Gilles GUTIERREZ découvrent une colonie de poulpes évoluant sur un tapis végétal blanc. Ils prélèvent des échantillons et identifient rapidement cette algue brune (phéophycée) : la Padine.
Aujourd’hui, la classification de la Padine a évolué. Elle est désormais souvent placée dans le règne des chromistes, des êtres vivants photosynthétiques mais distincts des plantes par leur paroi cellulaire, leur dictyosome, leurs microtubules et leur mode de division cellulaire et de reproduction.
L’aspect blanc de la Padine sous l’eau est dû à un fin feutrage de cristaux d’aragonite (une forme de carbonate de calcium) qui réfléchissent la lumière. À l’air libre, ce feutrage devient transparent. L’aragonite, composant essentiel de la nacre, confère à la Padine une protection similaire à celle de la peau et une certaine rigidité comparable à un squelette.
L’équipe de recherche découvre rapidement que la Padine contient des métabolites capables de stimuler la production de composants essentiels des cellules de la peau (kératinocytes), notamment les cytokératines. Elle améliore également la cohésion cellulaire en renforçant les protéines desmosomales et en favorisant la synthèse des glycosaminoglycanes. Les scientifiques découvrent aussi qu’elle s’oppose au processus du vieillissement des os en améliorant la fixation du calcium par les ostéoblastes (cellules formatrices de l’os) et la synthèse des collagènes, protéines matricielles nécessaires au maintien d’une microarchitecture osseuse saine. Ces propriétés se maintiennent même dans des conditions de vieillissement, d’inflammation ou de toxicité environnementale.
Suite à des recherches sur la nacre des perles de Tahiti, le ministre de la recherche polynésien encourage Gilles Gutierrez à étudier la flore locale. L’abondance de la Padine dans les lagons, facilement récoltable, attire son attention.
Il est important de noter que la Padine, bien que pratiquant la photosynthèse, se distingue des plantes et des autres algues. Sa paroi cellulaire est principalement composée de fucanes et non de cellulose. Cette particularité la rapproche des chromistes.
Les travaux récents d’ICP ont permis de séquencer l’intégralité du génome de la Padine en 2018. Cette étude a révélé la présence de vastes domaines génétiques étonnamment similaires à ceux de l’homme, ouvrant de nouvelles perspectives d’exploitation de ses composants.
Les recherches ont montré que les composants de la Padine renforcent le cytosquelette des kératinocytes, améliorent la cohésion cellulaire et stimulent la régénération. Elles maintiennent aussi l’équilibre des cellules osseuses en favorisant les ostéoblastes même dans des conditions inflammatoires. Appliquée dans une formulation cosmétique ou nutraceutique adaptée, la Padine contribue à :
Ces découvertes s’appuient sur l’étude approfondie du génome de la Padine, qui révèle des homologies surprenantes avec le génome humain.
L’étude de la Padine révèle également des aspects fascinants de sa biologie et de son histoire évolutive.
L’étude comparative du génome de la Padine et de l’homme a mis en évidence la présence de gènes partagés, dont certains aux fonctions essentielles :
Plus étonnant encore, la Padine possède des gènes spécifiques au genre Homo, comme DISP-3 (prolifération et différenciation des neurones) et ROCK1 (régulation de l’adhésion cellulaire).
L’étude fonctionnelle de ces gènes a confirmé leur activité et leur potentiel d’application.
La Padine de Tahiti, entre légendes enchanteresses et découvertes scientifiques révolutionnaires, s’avère être une ressource marine précieuse. Ses applications cosmétiques et nutraceutiques, fondées sur ses propriétés régénératrices et protectrices pour la peau et les os, ne sont qu’un aperçu de son potentiel. L’exploration continue de son génome et de sa biologie pourrait ouvrir de nouvelles voies thérapeutiques, inspirées par les secrets de cette algue extraordinaire.
Recevez chaque mois notre Newsletter pour ne pas manquer notre actualité